Au petit bonheur la brousse, un roman engagé

Africains | Publié le 26 juillet 2019 à 9h00
Par ce très beau roman engagé et sans complaisance, Nétonon Noël Djékéry confirme son talent déjà révélé dans ses écrits antérieurs.

Début 2019 est paru Au petit bonheur la brousse, roman de l’auteur tchadien Nétonon Noël Ndjékéry. Et d’emblée, quand on tient dans les mains ce magnifique objet, ce pavé de presque 400 pages, avec sa couverture cachant deux très beaux dessins, on se dit que l’on va passer un bon moment… et cela se vérifie. L’incipit nous met dans le bain :

« La terre n’est pas un verger en fleur où l’on vient folâtrer en attendant de mourir en paix. Cette banalité crève les yeux, surtout au coeur de cette Afrique où toutes les passions du continent s’exacerbent, culminent et rivalisent dans une vertigineuse surenchère. Et cette année-là, la caste tchadienne des nababs l’apprit à ses dépens d’une manière qui l’a laissée traumatisée à perpétuité. »

L’auteur choisit le ton léger, badin et caustique pour nous parler d’un sujet grave et peu drôle, l’état de son pays d’origine. Lui-même né au Tchad et vivant en Suisse donne la parole au jeune Bendiman, né en Suisse de parents tchadiens. L’enfance helvète est heureuse, le départ suite au rappel du père de Ben vers le Tchad est précipité et l’arrivée est brutale : les deux parents du garçon sont cueillis à l’aéroport pour raison d’état.

« La mine du cerbère »

« Le temps égrenait son chapelet de soleils sans parvenir à arracher à l’ombre Liliane et Zakaria Solal. Nul ne savait dans quel centre carcéral ils croupissaient. Ben et son oncle avaient déjà bouclé plusieurs tournées des prisons connues de la capitale. Mais, sitôt qu’ils prononçaient le nom « Solal » devant n’importe quel gardien de prison, la mine du cerbère se refermait comme une fleur carnivore sur une proie, et ils entendaient grogner : « Circulez ! Il n’y a rien à voir. » »

Commence alors pour le jeune garçon une quête à travers le Tchad pour retrouver la piste de ses parents. Et, sur un ton souvent humoristique, toujours caustique, l’auteur nous dévoile au travers des aventures de Ben l’état véritable de son pays : la corruption partout enracinée, que ce soit à l’école, dans la police, aux plus hautes sphères de l’état - dirigé depuis des lustres par le dictateur Didi Salman Dada, alias l’autre-là -, le racket institutionnel, la main-mise du pétrole tchadien par l’autorité politique, l’état de guerre permanent et les groupes rebelles, le système pénitentiaire totalement opaque et la grande pauvreté des habitants…

« Les arachides grillées au sable chaud »

 « Au fur et à mesure que les éphémérides de cette année-là s’amincissaient, Ben se transformait. Ses belles fringues se défraîchissaient. Ses gestes s’arrondissaient. Son sang parut perdre la préférence des moustiques. Son haleine célébrait de plus en plus l’huile de karaté, les arachides grillées au sable chaud ou le jus de mangue encore verte. Quant à son français, il prenait des coups de soleil à lui faire bientôt cracher le feu. En même temps, son humeur s’assombrissait sans qu’il ne daignât en dévoiler la raison. »

Construit à la manière d’un roman policier, il faut attendre les dernières pages pour connaître la fin de l’intrigue… et encore, l’auteur laisse l’imagination du lecteur choisir le devenir du jeune garçon. La lecture est passionnante tant l’intrigue est bien menée et tant l’écriture est superbe, colorée, imagée. Quelques néologismes placés ça et là magnifient le texte sans jamais l’alourdir, c’est tout simplement délicieux.

Talent déjà révélé 

Par ce très beau roman engagé et sans complaisance, Nétonon Noël Djékéry confirme son talent déjà révélé dans ses écrits antérieurs - son recueil de nouvelles La minute mongole est sublime -. Devant une situation qui semble désespérée, il nous offre une lueur d’espoir dans le magnifique paragraphe qui termine le livre :

 « D’ailleurs, est-il humainement possible de s’inventer un quelconque avenir dans un présent que fumées, cendres et poussières teignent en permanence de la pâleur d’un linceul ?… En tout état de cause, il n’y a que deux choses dont on soit à peu près sûr dans cette Afrique-là. La première, c’est que la lumière renaît toujours des ténèbres. La seconde, c’est qu’une communauté qui ne propose ni de pépinière de rêves à ses enfants ni d’oasis de repos à ses morts est une société en sursis. Et le reste dans tout ça ?… Tout le reste s’avère si extrême dans la douleur comme dans la joie que, sous peine d’y perdre la raison, il faut sans cesse le repeindre aux couleurs des mirages si courants avec l’avancée des déserts. Simple exigence de survie. »

Au petit bonheur la brousse, Nétonon Noël Ndjékéry, Editions Hélice Hélas, p.380, prix 24 euros.

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