Un océan, deux mers, trois continents de Wilfried N’Sondé

Africains | Publié le 26 février 2019 à 6h07
VIDEO. Un océan, deux mers, trois continents exalte aussi l’espérance. Oui, l’océan, les mers et les continents ont beau rembobiner les films du passé dans l’esprit de beaucoup, mais le chiffre trois du titre annihile, tout de suite, le virus.

Monsieur Wilfried,

Vos parents vous ont appelé N’Sondé, après que vous ayez vu le jour à Brazzaville, en dix-neuf cent soixante huit, environ un siècle et une double décennie après l’abolition de l’esclavage. J’y ai d’ailleurs aperçu le monument y afférent. Mais, j’ai un rire en coin quand je lis que vous êtes écrivain et musicien, car pour moi, aucune distance ne sépare vraiment les deux. Si ce n’est que l’un s’exprime à l’aide d’un instrument et que l’autre s’égosille avec un instrument !

Vos romans, qui paraissent quasiment tous les trois ans, me fascinent autant qu’ils me façonnent. Vous commencez par sonder Le Coeur des enfants léopards en 2007 et Le Silence des esprits en 2010 avant d’offrir une Fleur de béton (2012) à une Berlinoise (2015). Puis, l’an dernier, vous choisissez de nous promener à travers Un océan, deux mers, trois continents. Gageons qu’Antoine de Saint-Exupéry, navigateur à son heure, aurait adulé !

Je dois également dire que vous êtes un auteur avec de la hauteur. Et avouer que vous faites penser à un maçon, un maçon avec la cédille, tant la truelle qui sert à construire vos récits m’éblouit, nous éblouit… Devrais-je rappeler que vous êtes lauréat de plusieurs prix littéraires, dont le Prix des Cinq continents de la Francophonie, le Prix Ahmadou Kourouma… ? En tous les cas, grand bien vous en fasse !

Votre éditeur m’a en outre appris que vos livres sont traduits aux Etats-Unis, une destination qui renseigne fort bien sur le travail forcé, la traite des êtres humains, la servitude pour dettes, des formes modernes de l’esclavage. Le roman susvisé y est donc bien indiqué. Prédisons-lui, par conséquent, un destin littéraire digne de ce renom, sur ces terres chargées d’histoires.

Fleurir le souvenir de ces absents

Cela dit, je me demande bien si ce roman, primé depuis, n’a pas aussi été écrit à quelques encablures de la Toussaint : ce recueillement annuel en l’honneur des décédés, qui permet à plus d’une personne, de fleurir le souvenir de ces absents, et dont votre roman fait écho, si tant est qu’il rend hommage à Nsaku Ne Vuda, un prêtre né vers 1583 dans le Royaume Kongo et mort en 1608 à Rome, où il était envoyé en mission par son roi. Et où il fut baptisé Dom Antonio Manuel, preuve s’il en est que la religion des musulmans n’est pas la seule à pratiquer l’adjonction de nom…

Mon commentaire eût été incomplet si j’omettais d’ajouter qu’au-delà d’historiciser la nature des relations entre le Nord et le Sud, Un océan, deux mers, trois continents exalte aussi l’espérance. Oui, l’océan, les mers et les continents ont beau rembobiner les films du passé dans l’esprit de beaucoup, mais le chiffre trois du titre annihile, tout de suite, le virus. Il dit l’optimisme et symbolise donc aussi l’aptitude à surmonter les obstacles. Comme le fera d’ailleurs Nsaku Ne Vuda, au cours de son périple. Relisez, pour ce faire, ce que vous écrivez à une certaine époque du récit : « J’avais prié sous la brutalité avec laquelle on m’avait traité et m’étais tu, mais personne n’arriverait jamais à supprimer ma relation avec l’au-delà. J’avais la certitude que le fanatisme était une imposture, le doute même qui parfois s’était immiscé dans le cœur même des apôtres était un passage essentiel qui avait renforcé leur ferveur ».

Embellir la Mémoire 

L’enjeu est-il aussi de répéter l’Histoire pour embellir la Mémoire ? ou souhaitiez-vous simplement raconter l’épopée non connue du premier légat africain au Vatican ? C’est une hypothèse que je ne puis m’empêcher d’entrevoir, dans la mesure où elle transparaît au fil de maints passages. Revoyons, en guise d’illustration, celui-ci : « Dans l’entrepont, des centaines de gorges emplies de désespoir râlaient en désordre des lamentations incessantes. Les esclaves devenaient complètement déments, d’autres périssaient. Les matelots attendaient que les rangs soient suffisamment clairsemés pour évacuer les dépouilles. Allongés sur trois niveaux d’étagères avec des baquets destinés à leurs besoins, les vivants furent sciemment maintenus, parfois plusieurs jours, dans une horrible promiscuité avec les cadavres : un pas de plus dans la descente vers le sordide ».

Autre point : depuis toujours, c’est la mer qui se jette dans l’océan. Jamais l’inverse, comme l’insinuerait le titre du livre. Si donc cette incongruité ne cache pas une remise en cause du récit génésiaque sur la Création : à quoi rimerait-elle ?

En un mot comme en beaucoup d’autres, Un océan, deux mers, trois continents est une grande anecdote. Car, au-delà d’exposer les menues espérances humaines courantes et normales, il dit la vérité suivante : on a beau n’avoir connu un Homme dans la vie, on peut tout de même l’approcher ou le rencontrer dans le livre.

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