RDC : l’Eglise catholique et « les médiocres »

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Ce n’était rien de moins que la chronique d’une catastrophe annoncée : une marche qui se voulait pacifique interdite par les autorités de Kinshasa, une répression aussi aveugle que sanglante en guise de cadeau de Nouvel An aux Congolais.
Le 31 décembre 2017, faisant constat de l’échec de l’accord dit de la Saint-Sylvestre signé un an auparavant entre le régime du président Joseph Kabila et les cartels de l’opposition, l’église catholique a appelé ses fidèles à manifester contre le statu quo et pour l’alternance démocratique.
Le statu quo, c’est la situation pour le moins insolite d’un État où sénateurs, députés et jusqu’au chef de l’État, ont tous vu leur mandat électoral expirer, sans que le pouvoir en place ne veuille organiser le moindre scrutin. Soupçonné un temps de vouloir modifier la loi fondamentale (l’actuel président ne saurait être candidat à sa propre succession, son deuxième et dernier bail constitutionnel étant échu), Kabila a trouvé une astuce dont il use et abuse depuis décembre 2016 : multiplier les prétextes pour renvoyer aux calendes grecques l’élection présidentielle, quitte à entretenir des foyers de tension dans le Kasaï et ailleurs, avec à la clé des milliers de morts et des centaines de milliers de réfugiés.
L’alternance démocratique, c’est ce que les partis de l’opposition n’ont eu de cesse de réclamer, après avoir dénoncé un hold-up électoral en 2011, un bide grandeur nature qui vit le fils du tombeur de Mobutu au pouvoir depuis dix ans, rempiler pour un nouveau quinquennat. Maniant avec maestria le bâton et la carotte, passé maître dans l’art de diviser ses adversaires pour mieux s’accrocher, Joseph Kabila a servi à l’opposition une succession de « dialogues » qui ont tous accouché du même résultat : la fragmentation du bloc « anti-glissement », entendez les forces politiques hostiles à tout report du scrutin présidentiel. Le tout sur fond de débauchage de certaines figures du noyau réputé le plus dur de l’opposition, à l’image de l’ex-premier Ministre Samy Badibanga ou de l’actuel locataire de la Primature, Bruno Tshibala, tous les deux transfuges de l’UDPS et anciens proches de l’opposant historique Etienne Tshisekedi.
De Mobutu à Kabila : même foi, même effroi
Une marche des chrétiens catholiques qui finit dans un bain de sang, Etienne Tshisekedi, surnommé le Sphinx de Limete, décédé à l’âge de 84 ans à Bruxelles le 1er février dernier, en a connu une de son vivant.
Le 16 février 1992, des milliers des Kinois descendent dans la rue pour une « marche de l’espoir », à l’appel d’une coordination d’associations catholiques pilotée par des laïcs avec le soutien du clergé. Ils revendiquent la réouverture de la Conférence nationale souveraine (CNS), dont les travaux ont été interrompus le 19 janvier 1992 par le Premier ministre Nguz-a-Karl-i-Bond. Ce forum national, ouvert le 7 février 1991, s’était donné pour objectif de « faire une évaluation sans complaisance de la situation politique du pays, avec tolérance et justice afin de baliser le chemin de la démocratie et du changement social ». En ligne de mire, des élections libres et transparentes qui entraîneraient l’alternance au sommet de l’État et mettraient fin à l’un des régimes les plus corrompus d’Afrique, instauré plus d’un quart de siècle plus tôt par un certain Mobutu Sese Seko.
Aux cris de désespoir lancés par ces chrétiens dont la plupart militent au sein des formations membres de « l’Union sacrée de l’opposition radicale et alliés » (USORAL), le régime du Maréchal Mobutu répond par une répression sanglante qui fera une centaine de morts. Le mariage de raison entre l’USORAL et l’église catholique accouche ainsi, dans la douleur, de la victoire sur le despote d’un peuple désarmé mais habité par une foi inébranlable en son destin. L’homme à la toque de léopard fait marche arrière et ordonne la réouverture de la conférence présidée par celui qui passe alors pour le Desmond Tutu zaïrois : le très populaire Monseigneur Laurent Monsengwo, archevêque de Kisangani. Quelques jours plus tard, le même forum élit Etienne Tshisekedi, ennemi politique juré du Maréchal, au poste de Premier ministre d’un gouvernement de transition dont le mandat principal est d’organiser le scrutin de tous les espoirs. On connaît la suite.
Variations sur la même faillite
Le 31 décembre 2017, c’est l’histoire qui bégaie, l’église catholique qui monte à nouveau aux barricades contre la dictature. Mais les temps ont changé, les acteurs aussi. Après avoir été fait cardinal par Benoît XVI, Laurent Monsengwo a été choisi par le Pape François comme représentant de l’Afrique au sein du collège des neufs cardinaux ayant reçu pour mission de plancher sur la réforme de la Curie. Le Congolais, dont l’engagement politique a toujours bénéficié d’un appui explicite du Saint-Siège, est l’un des évêques les plus influents à Rome. À Kinshasa-la-rebelle, métropole dont il est devenu l’archevêque en 2007, le prélat s’impose plus que jamais comme une figure morale et populaire.
Du côté du pouvoir temporel, Kabila fils a écarté des cercles du pouvoir les amis de son défunt père. On l’a vu les remplacer, du jour au lendemain, par les anciens conseillers de Mobutu. Ainsi les méthodes de la mobutie font-elles florès en kabilie, en commençant par le culte de la personnalité et l’enrichissement personnel aux dépens du Trésor.
Dans l’arène politique, l’alliance entre les hommes en soutane et les opposants congolais n’est plus ce qu’elle fut du temps du tandem Mobutu - Tshisekedi. Si le pouvoir laisse malicieusement un transfuge de l’UDPS, en l’occurrence le Premier ministre Tshibala, porter le chapeau de la répression des « chrétiens », comme hier Mobutu confia la besogne à l’ex-USORAL Nguz-a-Karl-i-Bond, le « Rassemblement » des opposants à Kabila ne fait plus diversion. Il s’agit en réalité d’un champ des ruines où les Congolais cherchent désespérément un leader un tant soit peu inspiré.
Sans programme clair, largement discréditée en raison de la facilité avec laquelle ses figures les plus en vue changent de camp au moindre appel du pied d’un président qui les méprise et les tient pour quantité négligeable, l’opposition a fini par perdre toute capacité de mobilisation. Pire, elle a cessé d’incarner aux yeux des Congolais l’alternative à un régime dont le bilan est pourtant des plus désastreux. Une situation aggravée par la disparition de Tshisekedi qui, à défaut de briller par une stratégie politique à la hauteur des espoirs qu’il suscita auprès de ses compatriotes, avait à tout le moins le mérite de jouer les épouvantails, dans l’attente d’une hypothétique relève.
Devant le vide sidéral et la paupérisation des masses dans un pays aux richesses naturelles prodigieuses, l’église catholique, seule institution capable de livrer des services sociaux aux quatre coins d’un pays vaste comme l’Union européenne, n’a pas eu le temps de réfléchir à la question : elle est devenue, de facto, l’opposition au régime Kabila, un régime réputé proche des églises dites de réveil.
Monseigneur Monsengwo, la bête noire
Au moment où Kinshasa, Goma et d’autres villes du pays comptent les morts du 31 décembre 2017, Mgr Laurent Monsengwo, ne décolère pas. Que le pouvoir ait renié ses engagements enchâssés dans l’accord de la Saint-Sylvestre dont la Conférence épiscopale du Congo (CENCO) était le parrain, passe encore. Mais que le régime ait envoyé ses forces de répression interrompre les cultes, utiliser gaz lacrymogènes et armes à feu à l’intérieur des églises avant même que ne débute la marche de protestation redoutée par les autorités, voilà qui frise « la barbarie ». Le prélat de tempêter dans un communiqué de presse qui lui vaut désormais l’ire des plus zélés des kabilistes : « Il est temps que les médiocres dégagent. »
Et si le vrai drame du Congo était que la médiocrité, plutôt que de caractériser le camp des bourreaux, constituait le dénominateur commun d’une classe politique incapable d’offrir à son peuple un avenir à la hauteur du potentiel de ce riche, grand et beau pays ? À la société civile et à la jeunesse congolaises, plus que jamais, de prendre la mesure de l’immense défi qui se dresse devant elles alors que débute, dans le sang, l’année de tous les dangers.