Quand Chamoiseau parle des « Frères migrants »

Africains | Publié le 24 juillet 2017 à 12h07
Frères migrants est le dernier essai de Patrick Chamoiseau. Dans ce texte, le Prix Goncourt se livre à une réflexion poétique, dense, humaine sur ceux qui viennent d'ailleurs. Et cherchent l'hospitalité dans les métropoles occidentales.

On a coutume de considérer le poète comme un être déconnecté du réel, un personnage engoncé dans ses rêveries et ses élucubrations, dans ses intuitions et ses divinations. Ainsi, on ne peut guère lui confier une mission – quelle qu’elle soit - tendant à penser ce qui est au cœur des dysfonctionnements de la cité et de la modernité.

Or en lisant cet essai de Patrick Chamoiseau, Frères migrants, on s’aperçoit que tout cela n’est qu’une vue de l’esprit, que le praticien du chant poétique ne saurait en aucune manière souffrir d’un tel réductionnisme. Que la seule chose qui vaille est de se mettre au diapason de ses surgissements. Et d’entendre ce qui est peut-être le plus beau texte qu’on ait écrit au cours de ces dernières années sur la question migratoire.

Beau parce que l’humanisme intégral est proclamé dans chacune des pages. Beau parce que l’auteur fait montre dans ses analyses et ses constats d’une authenticité absolue.

L'agir citoyen 

Arrêtons-nous un instant sur quelques-unes de ses bribes : « En France, la Méditerranée est au coin de la rue, et la jungle de Calais que les poubelles ont détruite n’arrête pas de surgir aux angles des boulevards !... », dit Hind qui filme ; « A Paris, je sers du café chaud, des tranches de pain beurrées, à des yeux dépourvus de paupières. Ces pupilles blanchies de vigilances et du sel des déserts, sont comme des sémaphores. Dans l’ombre de ces corps qui jaillissent de nulle part, qui ne font que surgir, évanescents entre rives et rivages, je vois des routes devenues éternelles, des tombes amoncelées entre îles et continents, tout un lot d’origines qui se retrouvent brouillées dans un radeau de baluchons et de valises… Chacune de ces silhouettes semble ramener son endurance d’une charge de lendemains endossés sans fatigue, portés sans devenir… », murmure Jane qui écrit. Toutes ces interpellations (qu’on entend ici dans le prologue) sont bien entendu adressées à l’auteur de Texaco et tracent le chemin d’une réflexion sur l’agir citoyen, sur ce que veut dire aider son prochain. Quand ce dernier est dans le pétrin.

Des « lucioles », des « forces de décence »

Car ces deux femmes qui agissent, qui accueillent, qui déplorent, démontrent qu’au cœur des riches métropoles occidentales, des égoïsmes étatiques, il y a encore, des « lucioles », des « forces de décence » qui ne souhaitent pas la faillite de l’éthique, autrement « c’est la beauté qui tombe. » C’est « la nouvelle barbarie » qui s’installera dans des Etats-nations d’Europe « eux qui ont tant migré, tant brisé de frontières, tant conquis, dominé, et dominent encore, veulent enchouker à résidence misères terreurs et pauvretés humaines. Ils prétendent que le monde d’au-delà de leurs seules frontières n’a rien à voir avec leur monde. Qu’il n’est pas de leurs œuvres et pas de leur devoir. »

Bizarre monde ! Triste monde ! Quand on sait que l’Occident a immensément contribué aux déséquilibres politiques, économiques et sociaux des pays (Afghanistan, Irak, Libye) dont sont originaires la plupart de ces migrants. Alors pourquoi leur refuser l’hospitalité qu’ils quémandent ? Où est-elle cette fameuse cohérence des choses ? « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde », protesteront certains esprits revêches. Soit ! Michel Rocard (qui a la paternité de cette phrase) avait ajouté plus loin qu’elle doit cependant prendre « toute sa part ».

Il est temps qu'advienne une nouvelle fraternité. Dans laquelle retentira ce magnifique refrain de ces anonymes altruistes, véritables samaritains pour le XXIe siècle : « Casa nostra, casa vostra » !

Frères migrants, Patrick Chamoiseau, Editions du Seuil, 137 p., 12 euros.

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