Ces Américains qui parlent des années Obama/Episode5

Africains | Publié le 12 avril 2017 à 10h04
C'est le dernier entretien de Pina Piccolo sur les années Obama. Dans ce texte traduit de l'américain par Anne Jacqueline, elle aborde la violence policière aux USA.

La poétesse italo-américaine Pina Piccolo achève aujourd'hui son grand entretien sur les années Obama. Cette fois, avec Simbala Désilles (31 ans, plasticienne, Michigan), Candice Whitney (23 ans, étudiante, Massachusetts) et Wuyi Jacobs (52 ans, producteur exécutif et animateur d'AfrobeatRadio, un programme hebdomadaire sur la vie publique qui présente des perspectives et analyses africaines et de la diaspora sur les enjeux mondiaux), elle se penche sur la violence policière aux USA.

AFRICAINS MAGAZINE. Est-ce qu’avoir un Africain-Américain comme président a fait une différence au niveau de la violence de police contre les personnes noires, les crimes haineux, la discrimination dans la société ?
Simba DESILLES. Pour moi, la présidence Obama a été une porte d'ouverture de la conscience pour la communauté noire. Ce que j'ai vu ces huit dernières années, c'est que les noirs se mettent en avant plus facilement. Nous avons été en mesure de montrer que nous ne ne correspondons pas au moule qui nous a été imposé. Nous avons pu briller. Nous avons eu la possibilité de raconter notre histoire et d'être entendus en la racontant. Nous avons pu remettre en cause la domination blanche dans tout le système et les institutions du pays. On nous a donné l'occasion de résister à l'adversité et on nous a donné la conscience de la place où nous sommes, des cartes qu'on nous a distribuées, et on nous a donné le courage pour dépasser tout cela. Le symbolisme de la présidence d'Obama est ce qui est le plus important à mes yeux. Il a fait ressortir le courage et il a fait surgir son peuple, même si c'était par inadvertance. En tant que politicien, je ne le respecte que dans une certaine mesure, mais en tant que représentant de la grâce, de la classe et de la réussite pour un Américain noir, il restera toujours un instrument crucial du changement de conscience des Noirs en Amérique et à travers le globe.

Candice WHITNEY. Je ne pense pas que le fait d'avoir un Africain-Américain comme président ait fait une différence positive au niveau de la violence policière. Les gens aux États-Unis et à l'étranger continuent de dire que l'Amérique est post-raciale, et cela me fait rire. Même si nous avions un président africain-américain, les prisons continuaient à se remplir rapidement de corps noirs et bruns. Pour être clair, je ne pense pas qu'une société post-raciale soit possible. Ce concept ouvre juste une boîte entière d’hypothèses irréelles et tordues qui prennent trop d'énergie émotionnelle à déconstruire. L'administration Obama, ainsi que tous les partis politiques (pas seulement les Démocrates ou les Républicains), n'ont pas réellement collaboré avec le mouvement Black Lives Matters. L'économie des États-Unis est construite sur l'esclavage et, à mon avis, ce n'est pas quelque chose que l’on puisse régler au cours d’une présidence de 4 ou 8 ans. Je pense qu'une question importante est de savoir comment les gens définissent le progrès et qui est censé en bénéficier et pourquoi. Nous devrions être beaucoup plus créatifs sur la façon dont nous envisageons la réforme de notre système politique et de notre pays, si nous voulons vraiment la fin de toute forme de discrimination envers les Noirs et les personnes de couleur. Franchement, si je croyais qu’un tel changement puisse se produire sur le laps de temps de ma vie, je serais bien naïf.

Wuyi JACOBS. En 2016, la police a tué près de 200 jeunes Africains-Américains aux États-Unis. Au total, 963 décès dus à des tirs de police ont été recensés. En 2015, le Washington Post a dit que 990 personnes avait été tuées par des policiers, dont 258 étaient noires. La violence policière sous ses diverses formes est principalement, mais pas exclusivement, contre la jeunesse noire et brune. Je pense donc qu'il convient de poser cette question aux jeunes.
Tout d'abord, personne ne demande aux jeunes ce qu’ils pensent ni ne s’intéresse à ce qu’ils veulent. Je suggère donc que nous leur posions cette question. Je pense qu'ils voient la réalité très différemment de la façon dont nous la voyons. Ils sont également confrontés à une réalité très différente, à un avenir économique incertain et un futur environnemental sombre. Ils vivent dans un monde numérique, étranger à la plupart des gens de de ma propre génération. Twitter monde. Un monde linguistique mutilé, et vidé de sens. Et maintenant, avec l’arrive à la présidence de Trump, qui a bouleversé notre centre moral, ils héritent aussi d'un monde où les mots, les images et les actes ont été vidés de sens ; un monde que nous avons créé pour eux. Ils n'ont pas le temps pour nos complexités et duplicités. Alors ils ont fait court. Il y a une dissonance générationnelle en la matière. En dépit des mouvements de jeunesse « Occupy » et « Black Lives Matter » qui cherchaient à donner un sens et un centre moral aux voix des jeunes, la société reste volontairement imperméable. Sans les caméras vidéo et les téléphones mobiles, la réalité de la violence policière ordinaire et quotidienne n'aurait pas eu autant d'attention. Mais je maintiens que nous devons poser la question : combien d'enfants libyens, somaliens, syriens et yéménites ont été tués en 2016 ? 2015 ? Combien d'enfants, y compris des citoyens américains, ont été tués par des drones dans des pays étrangers ? Nous avons également assisté à l'utilisation par la police d'un drone pour tuer sur le sol américain. La dépendance croissante envers les solutions militaires à l'étranger a ironiquement conduit à une militarisation croissante de la police et du pays. Et quelle est notre responsabilité dans cette incroyable violence ? Ce sont là des questions très importantes. On pourrait réclamer une « Commission de la Vérité » juste pour les jeunes.

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