Ces Américains qui parlent des années Obama/Episode1

Africains | Publié le 15 mars 2017 à 10h04
ENTRETIEN. Dans ce document (traduit de l'américain, et avec bienveillance, par Anne Jacqueline), l'essayiste et poètesse italo-américaine, Pina Piccolo, est allée à la rencontre de ses compatriotes pour les interroger sur les années Obama.

Le 20 mars, cela fera deux mois que Barack Obama, le chantre de Yes we can, n'est plus le président des Etats-Unis. De la première puissance mondiale. Africains Magazine a souhaité revenir (en cinq épisodes distincts : « Performance d'Obama », « L'impact d'un président noir », « Economie et situation intérieure des Etats-Unis », « Scène internationale », « Violence de la police contre les personnes noires ») sur cette grande page de l'histoire contemporaine, en interrogeant, avec le concours de l'essayiste et poétesse italo-américaine, Pina Piccolo, trois Africains-Américains :

Simbala Désilles, 31 ans, plasticienne, Michigan ;

Candice Whitney, 23 ans, étudiante, Massachusetts ;

Wuyi Jacobs, 52 ans, producteur exécutif et animateur d'AfrobeatRadio, un programme hebdomadaire sur la vie publique qui présente des perspectives et analyses africaines (et de la diaspora) sur les enjeux mondiaux.

AFRICAINS MAGAZINE. Que pensez-vous de la performance d'Obama lors de ses deux mandats par rapport aux espérances suscitées, en particulier, lors de sa première campagne présidentielle ?

Simbala DESILLES. Je dois admettre que je n'ai jamais accroché à la campagne « Hope » d’Obama. Quand j'ai étudié la propagande dans ma classe de design graphique il y a plusieurs années, j'ai compris qu’une bonne presse est nécessaire pour faire paraître et apparaître n’importe quelle perspective comme le bon choix pour « sauver les meubles ». L'idée et la croyance qu'un homme peut nous sauver de nous-mêmes est très dangereuse à mon avis. Depuis le début, j’ai eu l’impression d’être alimentée par un mensonge, d'un faux espoir et d'un faux potentiel de justice. Je ne crois pas la plupart des politiciens. J’ai fini par comprendre que c'est commun pour eux de mentir et de cacher des vérités importantes au public. J'ai été un peu impressionnée par sa victoire, mais j'ai rapidement eu la preuve que le système restera le même, peu importe qui est au pouvoir. Lorsqu'il a ordonné des attaques de drones au Pakistan après son élection, puis, juste après, reçu un Prix Nobel de la Paix, j'ai perdu toute foi dans le cirque politique. On nous trompe à tellement de niveaux. En résumé, je n'ai jamais cru en lui. Je le voulais. Je le voulais vraiment car il s’agit de quelqu’un qui « a l’air » de représenter mes intérêts. Ses premiers jours à la présidence ont été très révélateurs pour moi et je n'ai pas pu trouver une once de mon corps qui le respecte encore après les choix qu’il a fait juste après son élection.

Candice WHITNEY. J'ai toujours été un partisan d'Obama. Pendant la campagne 2008, mon père et moi étions bénévoles dans une de ses équipes locales, nous avons passé des appels téléphoniques. En 2012, j'avais 19 ans et j'ai voté pour lui. Je pense qu'il est intéressant de comprendre que sa campagne de 2008 s’était concentrée à la fois sur le changement de gouvernement et la continuation des choses qui marchaient bien, et qu’elle s’est développée en 2012 sur le thème des changements, en se basant sur le pluralisme dans notre société. Puisque notre système non démocratique bi-partisan avait un président Démocrate et un sénat Républicain, il est important de noter qu'il a dû faire face à beaucoup d'obstacles. Sur le plan de la politique intérieure, je pense que sa principale réalisation est la réforme du système de santé, avec la Loi sur les soins abordables (Affordable Care Act) et l’Obamacare. C'est bien de savoir que, maintenant, je suis couvert par l'assurance maladie de mes parents jusqu'à ce que j'ai 26 ans. Le chômage a également diminué et a atteint son niveau le plus bas pendant sa présidence. Sa politique étrangère a été assez décevante. C’est vraiment dommage, par exemple, que les USA accordent des aides militaires comme la vente d’armes au Sud Soudan, alors qu’il y a une guerre civile. Cette « aide » aide le mal, l'exploitation, le nettoyage ethnique et finalement le génocide de la population du Sud Soudan.

Wuyi JACOBS. Sa présidence a été remarquable et historique, indépendamment de toutes les promesses qu'il a faites pendant ses campagnes ou ce que les gens ont pu projeter sur lui. Le président Obama est entré en fonction à une époque de grave crise économique. Certes, il est important de ne pas exagérer l'influence d'un président sur l’économie, mais il faut reconnaître qu’il a apporté une stabilité à la microéconomie des États-Unis, loin de la situation dont il avait héritée du président Bush. Le problème majeur, ici, c’est l'économie des États-Unis. Il a réussi à la stabiliser, voire à inverser la tendance, et a permis l’adoption de la Loi sur les soins abordables (Obamacare), qui a permis à plus de vingt millions d'Américains qui en étaient privés avant d’accéder au système de santé. C'est un énorme succès. C’est aussi officiel, l’économie américaine a créé 11,3 millions d'emplois pendant la présidence d'Obama. Et en 2016, l'économie américaine a créé deux millions d’emplois nouveaux, soit 75 mois consécutifs de croissance de l'emploi, un autre succès important. Il faut mentionner l'American Jobs Act de 2011 (S.1549 - 112e Congrès 2011-2012) adoptée en avril 2012 et en particulier cette loi, « Jumpstart Our Business Startups » ou Jobs Act, passée presque inaperçue, mais importante. Un élément essentiel de cette loi vise à encourager l'accès au financement des petites entreprises en assouplissant diverses réglementations en matière de valeurs mobilières. L'accès aux capitaux et aux marchés mondiaux est depuis toujours un défi pour les minorités en général et le demeure encore. Avec le Jobs Act, cependant, le président Obama a permis aux entreprises appartenant à des minorités, y compris les Noirs, les Latinos et les femmes, de créer des richesses beaucoup plus facilement qu’avant car elle assouplit la réglementation sur les PME qui souhaitent réunir jusqu'à 15 millions de dollars de capital, et — très important —, y compris via le crowdfunding, tout en protégeant les investisseurs. Nous devons reconnaître l'importance et le potentiel de cet instrument financier puissant qui peut être d'une grande aide aux entreprises appartenant à des minorités. Il faut aussi noter la signature en juillet 2010 de la loi Dodd-Frank de Wall Street sur la réforme et la protection du consommateur qui rétablit en gros la loi Glass-Steagall abrogée par le président Clinton. Beaucoup de personnes ont dit qu’elle n’allait pas assez loin car aucun banquier n'a été puni pour son rôle dans l'effondrement de 2008. Néanmoins, la loi Dodd-Frank de Wall Street sur la réforme et la protection du consommateur a contribué à stabiliser l'économie. Par contre, il est vrai est que la stratégie adoptée par l'administration Obama pour ressusciter l'économie après l'effondrement de 2008 a bénéficié en grande partie au même secteur financier et aux industries automobiles, laissant la majorité des Américains durement touchés par la crise sans beaucoup d'aide. Cet accord a eu un prix élevé ; il manquait de transparence et il aurait fallu rendre des comptes au peuple américain. Ce milliard de dollars par an qui a été injecté dans l'économie sous forme de déficit public pour maintenir le secteur financier en vie est étonnant. Selon Ron Paul, « la masse monétaire a augmenté de plus de 400% depuis 2008. » Le résultat net sous l'administration Obama est l’augmentation des inégalités de revenus avec 20% des ménages américains gagnant plus de 84% de la richesse nationale, et, en bas de l’échelle, 40 % possédant un maigre 0,3%. Le pays pourrait se diriger vers un autre effondrement économique douloureux quand éclatera la bulle de l’assouplissement quantitatif. Donc, grâce à plusieurs de ses mesures, il a permis au pays de tenir face à un effondrement économique presque catastrophique, et ce quel que soit le côté de l'équation idéologique duquel on se place, et en particulier si l’on prend en compte le fait qu’il a dû faire face à une opposition difficile et radicalement obstructionniste. On peut ne pas être d’accord avec les détails, mais il est juste de dire que président Obama a plus que fait son boulot en soutenant l'économie. La vraie question qui restera est cependant : de qui a-t-il fait le travail ?

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