Afrique : quitter la Cour pénale internationale

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Dans la ligne de mire, la Cour pénale internationale instituée par ce traité en 1998. Il n’aura fallu au pouvoir de Bujumbura que sept mois pour faire voter par son parlement, le mardi 12 et mercredi 13 octobre 2016, la loi sanctionnant le retrait du Burundi de la Cour. Un précédent que les Africains auraient tort de considérer comme un acte de « salut public » de la part d’un État qui se découvre une souveraineté prétendument bafouée.
Le bébé et l’eau du bain
Que cela soit dit clairement : la CPI a, et ce depuis longtemps, multiplié les raisons de rendre les Africains méfiants (pour les plus optimistes), voire méprisants (pour les moins pondérés) à son égard. Que l’on parle des poursuites en cours qui ne visent que des ressortissants africains, de sa gestion hasardeuse des cas Omar Béchir et Uhuru Kenyatta ou que l’on évoque le profil type du criminel présumé dans le collimateur du parquet, le constat est sans appel : l’Argentin Luis Moreno-Ocampo hier, la Gambienne Fatou Bensouda aujourd’hui, ne semblent avoir du mordant que face aux « maillons faibles » des conflits sanglants qui ont émaillé l’actualité tumultueuse de l’Afrique au cours des deux dernières décennies.
Malgré de nombreux appels, la Cour tarde à donner des gages de sa capacité à sortir du tropisme africain. Au risque de servir à Pierre Nkurunziza aujourd’hui, comme hier à Laurent Gbagbo – que d’aucuns n’ont pas hésité à béatifier avant l’heure -, du pain béni pour leur rengaine victimaire sur fond d’afrocentrisme. Mais il serait dangereux au plan des symboles, malhonnête au plan intellectuel, mais surtout inexcusable au plan moral, que s’appuyant sur des insuffisances avérées, des Africains se laissent berner par les postures et le discours démagogique des politiques qui se sont illustrés par les crimes les plus graves commis à l’égard de leurs peuples.
Observer le président du Burundi tenter par tous les moyens illégaux de se maintenir au pouvoir ; le voir massacrer impunément ses opposants dans une longue et macabre chronique dantesque, le voir se vautrer littéralement dans le sang d’une jeunesse acculée à payer au prix fort son rêve de liberté, pour ensuite applaudir sa décision de s’affranchir de toute reddition de compte au nom d’une pseudo-souveraineté nationale… Si ce n’est pas se moquer de l’idée même de justice ; si ce n’est pas encourager d’autres despotes africains à lui emboîter le pas, qu’est-ce donc ?
L’erreur serait de mésestimer le rôle dissuasif que joue la CPI sur le continent. La pire de toutes serait de jeter le bébé (la lutte contre l’impunité) avec l’eau du bain (une CPI très imparfaite).
Autisme et fuite en avant
Lorsque Laurentine Kanyana, ministre burundaise de la justice, déclare que « le Burundi a adhéré volontairement à la CPI, le retrait est aussi volontaire », elle énonce une lapalissade qui ne trompe personne. La vérité, c’est que face à la répression systématique érigée en stratégique de survie par une dictature aux abois, la CPI a réagi en avril dernier en ouvrant un examen préliminaire. Dans la foulée, le comité des Nations Unies contre la torture a publié un rapport des plus accablants contre le pouvoir, tandis que de son côté, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU décidait de créer une commission internationale d’enquête sur les nombreuses exactions commises au Burundi depuis plus d’un an maintenant.
Sur la liste de douze personnalités soupçonnées de graves crimes qui pourraient relever de la compétence matérielle de la CPI, des piliers du système Nkurunziza. Plutôt que de faire la lumière sur une situation qui n’en finit pas de traumatiser les Burundais, le seul réflexe qui habite le régime consiste à crier au loup. Et le voilà qui reprend à son compte une ritournelle que l’on entend toujours chez les mêmes qui prétendent n’avoir rien à se reprocher, mais qui dans les actes, s’opposent farouchement à ce qu’une justice indépendante leur fournisse l’occasion d’écarter sans l’ombre d’un doute les graves accusations formulées à leur encontre.
Impérialisme et racisme ont bon dos
C’est le lieu d’inviter les sociétés civiles africaines à refuser de se laisser entraîner dans les combats qui ne sont pas les leurs, à commencer par celui d’un « anti-impérialisme » de mauvais aloi. Face aux critiques que suscite en toute légitimité l’action de la CPI, il est du devoir des Africains de continuer à forcer la Cour à donner des gages de son sérieux et de son universalité. Institution jeune, la Cour aurait tort de ne pas comprendre que son avenir en dépend.
Mais d’un autre côté, il est plus que temps que sur un continent où la grande majorité des États sont loin d’être dotés d’un pouvoir judiciaire indépendant, les Africains regardent la réalité en face et renvoient les démagogues à leurs propres turpitudes. Lorsqu’à Kinshasa le régime Kabila ordonne de tirer sur des manifestants ; lorsqu’à Lubumbashi un chef de milice en cavale réapparaît dans la ville où un tribunal militaire prononça sa condamnation à la peine capitale pour crimes contre l’humanité, et qu’il parade aux côtés des autorités locales ; lorsqu’à Brazzaville ou ailleurs des tripatouilleurs d’élections embastillent et assassinent sans qu’il n’y ait dans ces pays une justice qui demande des comptes, pas besoin des « impérialistes » pour constater que quelque chose ne tourne pas rond.
Entre une justice internationale imparfaite qui a le mérite de placer une épée de Damoclès sur la tête des derniers tyrans du continent et l’impunité totale dans laquelle se plastronnent ces derniers, il nous faudrait choisir en responsabilité. Pour l’Histoire.
Le procès Hissène Habré : l’arbre qui cache la forêt
Combien sommes-nous à rêver de cette Afrique qui se doterait de tribunaux régionaux capables de juger en toute indépendance les auteurs présumés des crimes et autres horreurs qui ternissent l’image du continent ? Combien sont-ils, ceux qui ont cru que le procès de l’ancien président tchadien Hissène Habré, jugé au Sénégal entre juillet 2013 et mai 2016 ouvrait une nouvelle page où à la « justice des Blancs » allait succéder une justice africaine respectueuse de leur « dignité » ?
Force est de reconnaître que le chemin est encore long pour que le continent gagne ses lettres de noblesse dans la lutte contre l’impunité. Car le cas Habré, s’il a permis de condamner à la perpétuité un ancien criminel notoire, a aussi révélé l’étendue des défis qui se dressent devant les Africains : les chambres africaines extraordinaires auraient-elles accouché d’une telle jurisprudence s’il s’était agi d’un haut dirigeant encore aux affaires ? Le procès aurait-il pu se tenir sans l’argent du « Blanc », le même qui est vilipendé par les tenants d’une CPI « raciste » ? Des 8,6 millions d’euros réclamés par le Sénégal, on notera que l’UE, les Pays-Bas, la Belgique, l’Allemagne, la France, le Luxembourg ainsi que les États-Unis d’Amérique ont contribué collectivement à hauteur de près de 6 millions d’euros — quand l’UA ne versait en tout et pour tout qu’un petit million. Vous avez dit « dignité » ?
Pour revenir aux familles des victimes burundaises, il reste une toute petite fenêtre d’espoir. D’une part, le statut de Rome stipule que le retrait d’un État ne prend effet qu’un an après la date à laquelle la notification a été reçue. D’ici là, le parquet est théoriquement habilité à poser les actes de poursuite requis. D’autre part, à l’expiration du délai d’un an, le Conseil de sécurité de l’ONU pourrait mandater la CPI à mener ses poursuites nonobstant le retrait du Burundi – des précédents existent. Il y a cependant un double bémol : les limites pratiques dans le premier cas, les jeux de coulisses des membres permanents du Conseil, dans le second. Face aux victimes d’actes barbares dont elle est trop souvent le théâtre, l’Afrique joue plus que jamais sa crédibilité. Elle n’en gagnera aucune à agonir la CPI, tant et aussi longtemps qu’elle laissera une poignée d’individus aux agendas politiques bien connus, lui vendre le discours d’une justice qui humilie les Noirs.
Comme si tous les Noirs avaient vocation à prendre fait et cause pour ceux qui, à l’image de Hissène Habré ou de Pierre Nkurunziza, sacrifient à leur boulimie du pouvoir le sort des millions d’Africains.