Deux Guadeloupéennes au coeur de la rentrée littéraire 2018

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Pour cette rentrée littéraire, deux romans m’ont particulièrement captivée : Là où les chiens aboient par la queue de Estelle-Sarah Bulle, publié chez Liana Levi, et Le parfum des sirènes de Gisèle Pineau aux éditions Mercure de France. Deux ouvrages écrits par des femmes, et tous deux ayant pour cadre la Guadeloupe.
Forts accents autobiographiques
Le premier, Là où les chiens aboient par la queue au titre si original, raconte une histoire familiale s’étendant de la fin des années 40 jusqu’à aujourd’hui. C’est Antoine le protagoniste principal, femme indépendante au caractère bien frappé - oui, c’est bien une femme - qui raconte à sa nièce ses souvenirs depuis l’enfance à Morne-Galant, trou perdu de la Guadeloupe, d’où elle s’échappe à seize ans vers Pointe-à-Pitre pour finalement, comme tant d’autres Guadeloupéens, finir par arriver en métropole. Son récit est complété par ceux de sa soeur Lucinde et de Petit-Frère, contraints eux aussi de rejoindre la métropole dans les années 60.
Pour un premier livre, aux forts accents autobiographiques mais romancé, ainsi qu’elle le précise, Estelle-Sarah Bulle fait très fort ! Au-delà des petites et grandes aventures des personnages, de leurs joies et peines, c’est de la Guadeloupe qu’il s’agit avec ses inégalités sociales, ses paysages magnifiques et ses taudis, sa culture et ses croyances, le racisme latent, l’exil souvent obligatoire… le tout est servi par une écriture très maîtrisée et colorée de créole qui rend cette lecture passionnante du début à la fin :
Encore aujourd’hui, les Guadeloupéens disent de Morne-Galant : « Cé la chyen ka japé pa ké. » Je te le traduis puisque ton père ne t’a jamais parlé créole : « C’est là où les chiens aboient par la queue. »
L’âme humaine dans tout ce qu’elle a de meilleur ou de pire
Gisèle Pineau est une écrivaine confirmée, Le parfum des sirènes est son dixième roman. Ce que j’aime chez elle, c’est sa capacité à décrire l’âme humaine dans tout ce qu’elle a de meilleur ou de pire, et surtout la profondeur qu’elle donne à ses personnages féminins. Son passé d’infirmière psychiatrique y est sans doute pour quelque chose. Dans Le parfum des sirènes, c’est la jeune et jolie Siréna le personnage principal, mais nous sommes en 1980, Siréna est retrouvée morte et c’est ainsi que le roman débute.
Ida, sa cousine et voisine la plus proche, l’avait retrouvée au moins trois heures après le coucher du soleil. À cause des cris entêtants de Gabriel, alors âgé d’à peine deux ans. Le gamin était assis par terre dans la cuisine, à côté du corps sans vie de sa mère.
Qui était-elle, la sirène au charme envoûtant ? Entre retours dans le passé et temps qui file, c’est une saga familiale qui nous est contée, avec ses non-dits et ses anecdotes,parfumée d’héliotrope blanc, de frangipanier ou de jasmin café au fil des chapitres. Nous voilà donc plongés dans la Guadeloupe des petites gens, avec des femmes fortes et émouvantes, avec le silence qui maintient le secret… et l’histoire passionnante prend des allures de roman policier sans en avoir l’air avec un dénouement inattendu vingt-sept ans plus tard. Gisèle Pineau écrit merveilleusement bien et maîtrise à la perfection l’art du récit, n’est-ce pas cela, la littérature ?