Ainsi parlait mon père

Africains | Publié le 13 avril 2018 à 9h07
Avec ce recueil si intime, poignant et d’une grande richesse, Sami Tchak nous donne de multiples raisons de réfléchir à chaque fin de phrases et nous invite à y revenir sans cesse.

Inclassable, le dernier livre paru de Sami Tchak nous rappelle que « pour aller de l’avant, nous devons regarder aussi derrière nous. Nous devons chercher notre chemin, notre force dans nos racines ». C’est auprès de son père, forgeron ne parlant pas le français, que le jeune Abdoubakar Sadamba Tcha-Koura a reçu les bases de son éducation, et ce sont ces leçons de la forge qu’il nous transmet, devenu Sami Tchak.

« Je ne lirai jamais tes livres car je ne sais pas lire en français. Cependant, laisse-moi te dire ceci : tes écrits sont le prolongement de ta langue. Par eux, tu n’es responsable de rien et tu es responsable de tout : ainsi parla mon père en feuilletant mon roman Place des fêtes ».

« Nous maigrissons de toute la richesse humaine des personnes que nous avons méprisées au lieu de les accueillir en nous : ainsi parla mon père après avoir sermonné ma soeur puînée qui avait haussé la voix sur un petit mendiant ».

« Lorsque nous commençons à avoir toujours raison, c’est que nous sommes devenus notre seul locuteur : ainsi parla mon père parce que, ce jour-là, je réfutais tous ses arguments ».

Réflexions habitées par la sagesse, la recherche de la bienveillance, de l’humilité, de la modestie, ces petites phrases mettent en garde contre la colère, la vanité et les certitudes, souvent avec humour, toujours avec bon-sens.

C’est ensuite l’écrivain Sami Tchak qui reprend la parole pour continuer celle du père, dans un vaste chapitre intitulé Sur les flots du vaste monde.

« Père, tu peux dormir tranquille, je ne me suis pas dilué dans le vaste monde, je sais plutôt écouter du vaste monde l’essentiel. Maintenant je vais parler, et je ferai entendre les échos du vaste monde à partir de ma subjectivité. »

« Le feu de la forge de mon père ne s’éteint pas dans ma mémoire »

Et nous avons alors droit à un véritable festival de mots et récits sur l’enfance, le monde, la condition humaine, la mort, le voyage, le sexe, le racisme, les migrants, les conflits dans le monde, et bien sûr la littérature - avec une multitude de précieuses références -… on en oublie tellement c’est foisonnant, pertinent, ironique, sans concession. Il est autant impossible de faire un résumé que de trancher pour en choisir les meilleurs morceaux…

« Le feu de la forge de mon père ne s’éteint pas dans ma mémoire. Mon village, si minuscule, est devenu ma lucarne pour regarder le monde. Il y a cependant un être dont le visage me fuit : ma mère. Parfois, je sors de moi pour un exil temporaire dans la légèreté, car, il ne m’est pas toujours facile d’habiter ma blessure sacrée. »

« L’Europe a réussi, dans l’histoire de l’humanité, à établir une verticalité qu‘elle a ensuite affermie et consolidée durant des siècles, verticalité qui met l’homme blanc caucasien au sommet et le Nègre au plus bas. Le racisme, le vrai, c’est le simple fait pour un Blanc par exemple, dans ses rapports avec les autres, d’avoir ou non conscience, sans que ses propos en fussent forcément inspirés, de cette verticalité en sa faveur ».

« Mon père me disait : Porte le rêve si haut pour qu’aucune de tes réalisations ne soit plus belle que lui. Ainsi, vivre pour toi sera toujours un chemin, un regard vers l’avant ».

Avec ce recueil si intime, poignant et d’une grande richesse, Sami Tchak nous donne de multiples raisons de réfléchir à chaque fin de phrases et nous invite à y revenir sans cesse, c’est ce genre de livre que l’on ne referme jamais définitivement…

Ainsi parlait mon père, Sami Tchak, Editions JCLattès, 200 p., 17 euros.

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